RE: PHARRELL AROT

Mémoires, curation et quotidien par Pharrell Arot.

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Par Pharrell Arot
17 mars · 3 mn à lire
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Pharrell Arot / "Si vous voulez que Pitchfork existe, il faut le lire"

Un épisode qui parle aussi d'un ours et d'une mamie.

Le titre de cette newsletter est une citation partagée. D’un côté c’est, mise au présent simple, mon positionnement très peu dans l’empathie à l’annonce de la fermeture du fameux site de critique musicale. De l’autre, avec les guillemets, une sortie du journaliste américain Ezra Klein, cofondateur de Vox et éditorialiste au New York Times, au micro du podcast Search Engine animé par PJ Vogt.

L’épisode, baptisé how do we survive the media apocalypse est un ping-pong entre deux juges et parties sur l’avenir – et même le présent – de l’industrie des médias. Le portrait dressé par les deux journalistes est d’une tristesse implacable, mais la discussion déroule le fil passionnant de la métamorphose de l’offre médiatique, des piliers locaux en papier du temps d’avant à la grande bulle de viralité sur laquelle ont ridé les Buzzfeed-like, où le contenu organique créé n’est devenu qu’une preuve de la possibilité de déclinaison parallèle en brand content.

Aucune hypocrisie, j’ai moi-même toujours créé du contenu avec la compréhension du modèle économique derrière (et j’ai même signé quelques quiz chez Buzzfeed). Mais, vivre la destruction, accélérée depuis le COVID, du paysage médiatique américain où les plateformes de diffusion (Meta et Google pour simplifier) ont terminé d’invisibiliser les sites pour faire consommer le contenu créé directement sur leurs apps tout en se payant la part du lion des revenus publicitaires, donne forcément le tournis.

Parce que vous n’allez plus lire des sites, vous lisez des titres sur Google Discover, vous voyez passer des liens sur Twitter, et likez le screenshot d’un article d’un ami journaliste sur Insta. C’est normal, notre consommation n’est pas faite pour sortir des app et ouvrir un onglet supplémentaire sur notre smartphone, et quand on le fait, on sait à quel point la navigation sur la plupart des sites est parasitée par le display publicitaire. Aucun jugement sur toutes ces lignes, je suis bien sûr coupable des mêmes crimes.

Dans cette destruction de l’internet des flux RSS et des favoris, et finalement de l’internet consommé sur ordinateur et pas sur smartphone, il existe tout de même quelques lueurs d’espoir. Pour Ezra Klein, si la presse locale et les géants (le NYT dans son exemple) vont passer à travers les gouttes, pour les autres, la solution passe par les nouveaux modèles de création de niches, avec du contenu sur mesure, sur des sujets précis ou incarnés, découlant sur un modèle payant. Parce qu’on est tous d’accord pour payer 100 euros par an pour pouvoir lire notre journaliste préféré sur son Substack, mais jamais 8 euros par mois pour un site où sa voix est diluée.

“It’s monday morning at 9.48 and everything feels totally fucked” lâche PJ Vogt du rire anxieux dans la voix à mi parcours. Ah gars, imagine si en plus tu étais dans un pays où personne ne lâche 3 euros pour lire quoi que ce soit ? J’ironise, et le paysage médiatique français a d’autres problématiques et challenges, mais on le sait, notre peuple n’a pas la culture du tips qui pousse à lâcher les euros sur Patreon.

Alors oui, d’un côté, il restera toujours la possibilité d’inventer de nouveaux modèles, on sent d’ailleurs à mon avis un repli des annonceurs vers des modèles plus traditionnels dans un monde (presque) post-influence, et la création de niches et de mini-médias semble un modèle à suivre, avec en exemple ce que font, à seulement 4, les géniaux journalistes tech de 404 Media.

Pour vivre de son contenu, si on suit le calcul au doigt mouillé partagé par Ezra Klein qui me semble assez juste, un journaliste (ou créateur de contenu écrit), devrait pouvoir commencer à vivre de son travail à la barre des 50 000 abonnés sur une plateforme type Substack (ou Kessel, soyons corpo !), en appliquant la pas toujours réaliste règle des 2% d’abonnés payants. Si mes boss me lisent, soyez relax, j’ai encore de beaux jours en CDI – et pas seulement pour cette règle de trois, mais parce que, même si on est “totally fucked”, je crois fort en de nouveaux modèles collectifs à explorer.

Quelques trucs que j’ai aimé cette semaine

Je ne connais absolument pas Bussi, mais son set “indie dance & acid disco” a été la parfaite bande son pour écrire l’article ci-dessus ce samedi après-midi. Je ne sors plus en club mais j’adore le sans doute un brin vain mais très cool slogan des soirées Book Club Radio : face each other, not the DJ.

  • Une histoire d’ours

Fin 80, ma grand-mère m’a offert un ours en peluche. Un ours blanc à collerette beige de la marque Nounours, mascotte une année du Noël des Nouvelles Galeries. Je possède toujours cet ours, parfaitement usé, et régulièrement je scroll Ebay pour retrouver ses congénères. J’ai déniché il y a deux ans un modèle en excellent état et début mars j’en ai de nouveau croisé un, plus petit, modèle dont je ne connaissais même pas l’existence. Si le bonheur est bien de retoucher un instant la naïveté de l’enfance, je bénis l’internet pour ces petites épiphanies.

  • Frederik Bille Brahe

Vous connaissez sans doute le chef danois Frederik Bille Brahe, derrière Atelier September ou l’Apollo Bar. Cette semaine j’ai écouté son interview chez How Long Gone, et j’ai absolument buggé quand il a parlé d’avoir été DJ à l’époque des blogs. J’ai tapé son nom dans ma boîte mail. Je n’avais jamais fait le rapprochement que Frederik Bille Brahe était Frederik de Tartelet records, et autant vous dire que les liens speedyshare qu’on se partageait sur Gchat n’ont pas plus de mémoire que moi. Son dernier livre, très beau, est sorti en décembre dernier chez Apartamento.

Le radar des gars qui aiment les gars qui rappent fait bip bip boop boop au max depuis vendredi, pas un amateur de poussière qui ne partage un morceau de l’album La vie est bien faite de Sameer Ahmad en story IG. Je n’ai pas eu le temps de plus creuser la discographie du monsieur (ni regarder son interview chez Mehdi Maïzi) mais bon sang “Cholos” et “Néron” c’est le rap que j’aime, très bien résumé par le monsieur par un “un peu pudique je me cache derrière la technique”. Les mots tombent au moment où on ne les attend plus, avec la patine d’un âge d’or fantasmé, comme si le rap d’avant avait écouté tout le rap d’aujourd’hui.